Qui se cache derrière les résumés en images des MOOC Culture et les articles illustrés de Thot Cursus ? C’est Frédéric Duriez ! Rencontre avec un homme aux multiples talents, pour qui un dessin vaut vraiment mille mots.
Sur le web, on connaît surtout Frédéric pour ses images. Mais le saviez-vous, le dessinateur star des MOOC Culture est aussi un formateur aguerri, y compris en ligne. L’occasion était bonne de réfléchir avec lui sur la place de l’image en formation et sur ses multiples activités.
Deux vies en une
Comment conciliez-vous vos activités de formateur et de dessinateur ?
Pour moi ce sont deux univers très différents, avec deux identités distinctes. Cela se ressent dans mon organisation et mes activités, mais aussi dans les personnes que je rencontre.
J’anime des formations dans le domaine associatif, pour des bénévoles et des salariés. Par exemple j’interviens pour des administrateurs de centres communaux d’action sociale, sur l’aide et l’accompagnement des personnes en difficulté. Des choses assez éloignées de Versailles et de l’histoire de l’art !
Je fais aussi un peu de formation à distance. Une grande part de ces formations est certifiante donc la partie administrative prend beaucoup de temps. En fait, ce que je dessine le plus ce sont des croix pour valider ou non des acquis !
Ma vie de dessinateur commence à 21 heures, à peu près tous les soirs. Je lui dédie aussi une bonne partie de mes week-ends. Cela demande une certaine discipline. Heureusement, en journée je me déplace beaucoup, donc j’optimise tous ces trajets en dessinant dans le train.
Comment avez-vous croisé la route des MOOC Culture ?
Je n’avais pas l’habitude de voir mes dessins diffusés auprès de nombreuses personnes. Je m’y suis mis avec les MOOC.
J’ai commencé à faire des synthèses dessinées pour les newsletters du MOOC ITyPA (Internet tout y est pour apprendre) en 2014.
C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Christine (Christine Vaufrey, fondatrice de MOOC & Cie et co-créatrice du MOOC ITyPA, ndlr), qui m’a ensuite proposé de réaliser des résumés en images pour le MOOC Impressionnisme. Je ne pensais pas faire des dessins pour un musée un jour ! Et de fil en aiguille, j’ai été embarqué dans l’aventure des MOOC Picasso, Versailles, Les origines de l’Homme, Une brève histoire de l’art…
Des sujets bien différents ! Comment travaillez-vous ?
Je travaille à partir des scripts des vidéos, qui ne sont pas encore finalisées quand je produis les résumés.
Je commence par créer des dessins d’éléments séparés, puis je les agence et j’ajoute le texte. Je dessine souvent deux fois plus d’images qu’il n’y en aura dans le résumé final.
Je sélectionne ce qui peut faire l’objet d’une métaphore, ou qui entre dans un schéma narratif. Par exemple, si je dois illustrer les arts de la table à Versailles, je ne peux pas remplir une demi-page avec de la vaisselle !
Je dois bien sûr conserver les mêmes outils dans les différents résumés.
Je commence par réaliser le dessin sur papier puis je le scanne. Je fais ensuite la colorisation sur ordinateur, avec le logiciel Clip studio paint ou le logiciel libre Krita. Je garde la même palette de couleurs pour toutes les planches. Et enfin je fais la mise en page avec Gimp. Zéro Photoshop…
La pédagogie du dessin
L’intention des résumés peut varier d’un MOOC à l’autre. Pour l’Impressionnisme, j’ai pu sélectionner les éléments qui me semblaient les plus significatifs. Comme il y en avait beaucoup, nous avons longuement travaillé sur le sens de la lecture. Pour d’autres MOOC, il a fallu respecter une certaine rigueur scientifique, ou veiller à la cohérence entre mes représentations et l’image plus globale d’un artiste. Ce sont le sujet lui-même et l’équipe de conception qui décident du positionnement.
Quelle est la fonction de vos dessins dans les MOOC ?
Ces résumés en images aident à comprendre, à mémoriser, et apportent un aspect de légèreté, grâce à l’humour.
La page doit aussi raconter une histoire, forcément courte et organisée. Ces résumés mettent de l’ordre dans des éléments que les participants ont peut-être consulté en plusieurs fois, de manière dispersée. Je sais que beaucoup de gens les impriment, ça me fait plaisir. J’adorerais qu’ils s’approprient mes dessins : qu’ils les découpent, qu’ils les complètent, qu’ils en fassent d’autres, qu’ils refassent des dialogues…
Quelle est l’étape la plus difficile, dans ce travail ?
La recherche documentaire, sans aucun doute.
On trouve tout et n’importe quoi sur Internet, en matière d’iconographie. Les photos sont très rarement datées et des illustrations erronées circulent. Par exemple on trouve des images d’objets, de costumes ou de coiffures datant de l’époque de Louis XVI pour illustrer le règne de Louis XIV.
Le MOOC Origines de l’Homme a bien mis en évidence ce manque de rigueur dans la représentation des hommes préhistoriques. On les montre volontiers qui courent derrière les mammouths et ce, jusque dans les revues de vulgarisation et les musées. Mais certains hominidés ne sont connus que par un petit morceau de dent ! Les scientifiques nous rappellent sans cesse, et à juste titre, qu’il est impossible de connaître leur couleur de peau, la forme exacte de leur crâne, leur pilosité ou leurs attitudes quotidiennes…
Le deuxième challenge consiste à sélectionner les bons dessins pour trouver une cohérence narrative.
C’est à ce moment-là qu’il peut être utile d’avoir un regard extérieur pour retirer le superflu et assurer un circuit de lecture fluide.
Nénuphars souriants ?
À quoi se reconnaît votre style ?
On dessine nécessairement en ramenant les sujets vers ce qu’on aime et qu’on fait le mieux. J’aime bien les personnages en interaction, avec des expressions et des émotions visibles…
Même si je devais dessiner des nénuphars, j’essayerais de les représenter sous cet angle plutôt que de faire une belle aquarelle. En revanche, j’aurai des difficultés le jour où on me demandera de dessiner des voitures ! J’aurais le niveau d’un enfant de 10 ans. Mais si je peux les faire rire ou être en colère, alors pourquoi pas ?
Avez-vous déjà eu des retours des participants ?
J’en ai eu seulement lors de la soirée de clôture du MOOC Une brève histoire de l’Art au Grand-Palais, où l’on avait invité tous ceux qui avaient obtenu leur attestation finale.
Des parents sont venus me féliciter, j’étais tout fier, et puis ils m’ont dit ensuite qu’ils avaient imprimé et accroché mes dessins dans leurs toilettes, pour que leurs enfants apprennent l’histoire de l’art à tout moment ! Je me suis dit « bon, même là ils ne perdront pas de temps ! ».
Des inspirations classiques
Dans les MOOC Culture vous avez dessiné beaucoup d’artistes, peintres ou sculpteurs. Et vous, quels artistes aimez-vous plus particulièrement ? Comment vous inspirent-ils dans votre travail ?
J’ai des goûts très classiques, jusqu’à l’adolescence je peignais beaucoup. J’aime beaucoup Rembrandt et Delacroix pour leur précision, la construction du tableau.
Par exemple, j’aime particulièrement ce dessin d’une femme endormie de Rembrandt, réalisé directement au pinceau. Son vêtement me rappelle les peintures de Soulages, l’expressionnisme abstrait des années 50. Les traits sont vivants, ils tombent juste là où il faut.
Près de 400 ans plus tard, on sent encore le geste, et on reste surpris de la justesse du mouvement.
On retrouve aussi le geste spontané mais juste chez Daumier, les traits sont vivants, et l’espace entre les personnages est aussi important que les personnages eux-mêmes.
Ce genre de dessin aide à voir les relations vides/pleins, et la forme des espaces vides. C’est très important dans les résumés dessinés où il faut laisser l’œil respirer.
Je m’inspire aussi des dessins de sculpteurs, qui sont extrêmement importants, car ils pensent en 3D : on voit le modelé et la présence du personnage, on sent qu’il a un poids.
Quand j’étais adolescent, j’étais très impressionné par Picasso, car il change tout le temps de style, il n’a pas le temps d’acquérir des tics. Mais si j’admire sa curiosité et son appétit, ce n’est pas pour autant une source d’inspiration pour moi.
Des illustrateurs et peintres comme Norman Rockwell, mais également les peintres académiques du XIXe siècle ont développé toute une série d’astuces, d’observations, de méthodes de construction ou de composition qui ont traversé la bande dessinée, le cinéma d’animation et le dessin d’illustration. Mes dessins s’inspirent de cette histoire.
Le rôle de l’image en formation
Selon vous, pourquoi les images et les représentations visuelles ont-elles tant de succès en formation aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a plusieurs raisons.
La première, c’est qu’on voit beaucoup d’images très construites, donc on se dit que c’est une vraie personne qui a fait le dessin. Ça attire l’attention et apporte un côté subjectif, quelqu’un s’engage en montrant ce que ça lui inspire et lui apporte.
Je fais de la facilitation graphique, je dessine à côté des gens au fur et à mesure qu’ils parlent, et les gens sont souvent fascinés.
L’image apporte aussi une dimension supplémentaire au texte. Ce n’est pas linéaire comme un texte, on peut explorer plusieurs éléments simultanément sans être dans une logique séquentielle. Cela met de l’ordre, mais ça invite aussi à multiplier les perspectives.
Enfin, même si le livre et la lecture résistent bien au numérique, les gens sont à la recherche d’informations synthétiques. On est dans une culture de la brièveté, de l’immédiateté, donc l’image répond à ces attentes. Le dessin réussit sa mission si il donne envie de lire, d’explorer, d’aller plus loin… ou de produire ses propres images.
Laissons Frédéric continuer à s’inspirer de ses artistes préférés, et précipitons-nous sur les MOOC Culture pour retrouver ses dessins. Ça tombe bien, 5 d’entre eux sont en accès libre, ne boudez pas votre plaisir !
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Une vidéo explicative sur les sketchnotes et la facilitation graphique
Références images :
Résumés en images :
– MOOC Impressionnisme, séquence « Les caractéristiques de l’Impressionnisme » – 2014
– MOOC Une brève histoire de l’art, séquence « XXe siècle » – 2017
– MOOC Louis XIV à Versailles, séquence « A table et en cuisine » – 2015
– MOOC Origines de l’Homme, séquence « Néandertal, cet autre nous-même » – 2016
Rembrandt, Jeune fille endormie – 1655
Soulages, Brou de noix sur papier – 1946
Daumier, Planche n° 7 de la série Les Gens de justice, publiée dans Le Charivari, le 21 avril 1845