Les gens sont géniaux. Dit comme ça, ça fait un peu démago, mais tous ceux qui ont eu la chance d’animer un MOOC le savent : dans ce type de dispositif où les participants se comptent en milliers, la somme de leurs contributions dépasse largement en richesse, en diversité, en créativité (…et en volume !) les contenus initiaux. Pourtant, rares sont les exemples d’exploitation de ces « contenus générés par les utilisateurs ». N’y a-t-il pas mieux à faire que de laisser ces trésors dormir au fin fond des forums ?
Big data, les chiffres avant les lettres
À ce titre, la course à l’industrialisation des formations fait que l’on s’est d’abord jeté sur les traces quantitatives générées par les participants : heure et durée de connexion, temps de consultation des vidéos, taux de réussite aux quiz, etc. Chaque plateforme de MOOC collecte des giga-octets de méga-données – les fameuses big data – avec comme espoir un peu fou de modéliser les apprentissages par la magie des statistiques et de recommander automatiquement à chacun le parcours individualisé qui lui correspond.
Ce rêve d’ingénieur plus que de pédagogue, outre qu’il semble assez éloigné de porter ses fruits, fait l’impasse sur les données qualitatives produites par les participants : témoignages, débats argumentés, partage ou analyse de ressources, travaux rédigés, créations multimédias… Quel que soit le sujet de votre MOOC, vous trouverez toujours des passionnés pour venir partager le meilleur de leur talent et de leurs propres connaissances.
C’est encore plus vrai quand on s’adresse à des acteurs d’un domaine professionnel : un MOOC permet ainsi d’organiser des remontées massives d’informations depuis le terrain (témoignages, retours d’expérience, études de cas, etc.) qui bénéficient aux participants comme aux organisateurs de la formation.
De la scénarisation pédagogique avant toute chose
Encore faut-il pour cela anticiper en amont la nature des informations attendues et concevoir les activités pédagogiques adéquates pour les faire émerger. Cela passe par :
- l’organisation des interactions entre participants (travail individuel ou en groupe ? collaboration ou coopération ?),
- l’orientation des productions dans la direction souhaitée, grâce à des consignes précises. Ces dernières explicitent la problématique sur laquelle les participants doivent travailler et structurent les modalités d’expression (« donnez 3 arguments », « répondez au message d’un participant dont l’avis est contraire au vôtre », etc.)
- la définition des formats les plus pertinents (dossier ? schéma ? fiche synthétique ? photo ? vidéo ?),
- la sélection et le paramétrage des espaces de travail appropriés à l’intérieur ou à l’extérieur de la plateforme (Forum ? Padlet ? Framapad ? Scrumblr ? Tumblr ? Facebook ?)…
Bref, la scénarisation pédagogique d’un MOOC ne s’improvise pas. Mais vous vous en doutiez, n’est ce pas ?
Faire, voir faire, faire voir
Les apprenants sont là pour apprendre. Oui, je sais, c’est une belle lapalissade, mais elle a le mérite de rappeler que les contenus produits par les apprenants résultent d’abord d’une action d’apprentissage. On apprend en faisant, comme le rappelait récemment Mathilde Bourdat à propos du MOOC des Gobelins ; avec ses mains, avec sa tête, avec des outils… Dit simplement : pour apprendre à faire du vélo, il faut pédaler, pas (uniquement) répondre à des quiz sur la physique des cycles (passionnante au demeurant) !
Qu’elles soient réelles ou simulées, concrètes ou abstraites, ces tâches d’apprentissage aboutissent dans un MOOC à la production de traces individuelles. Messages, analyses, témoignages, etc. reflètent le processus d’apprentissage et le contexte propres à chaque participant (ou groupe de participants pour des travaux collectifs). Le partage de ces traces avec la communauté est également un puissant moteur d’apprentissage : il permet la confrontation des idées, la distanciation critique vis-à-vis de son propre travail, la diffusion des réussites, la mise en perspective des expériences particulières…
Les forums de MOOC : une mine d’or… à extraire
Cette accumulation foisonnante et parfois chaotique de contributions individuelles recèle donc des potentialités plus grandes que la somme de ses parties, à condition de la transformer en discours structuré, intelligible et utile au delà de la communauté des participants. Alors, comment donner une seconde vie, plus vaste que la première, à ces contenus ? Comment collecter ces innombrables poussières d’or pour les transformer en bijoux finement ciselés (si l’on me permet de filer gaiement la métaphore) ?
Et bien pour l’instant, pas de solution miracle ; même si des projets d’automatisation par traitement sémantique et/ou interfaces améliorées sont à l’étude , l’essentiel du travail se fait à la main : lire les forums, relever les éléments pertinents, les synthétiser et les mettre en forme, veiller à leur diffusion…
Un tel travail demande du temps et des compétences, de celles que l’on acquiert en pratiquant les sciences humaines ; savoir lire, percevoir le sens implicite ou maladroitement exprimé dans des textes non structurés, faire des liens entre les idées exprimées et les conceptions auxquelles elles réfèrent, reformuler, synthétiser, rédiger… La mobilisation de ces compétences doit être prise en compte dans l’économie globale du MOOC afin de ne pas passer à côté de telles opportunités.
Une fois ces contenus extraits, il faut encore trouver leurs modalités de mise en forme et d’usage. Voici quelques pistes expérimentées sur lesquels nous avons travaillé avec les équipes d’animation des MOOCs Versailles et Picasso), mais peut-être avez-vous d’autres exemples…
1) La synthèse hebdomadaire
Elle consiste à résumer en quelques pages la teneur des échanges d’une ou plusieurs activités de la séquence. Selon la nature des activités traitées, elle peut prendre plusieurs formes : voyage thématique au sein des contributions, compte-rendu des différents arguments évoqués dans un débat, florilège de créations…
Sa fonction première est pédagogique : elle donne aux participants une vision d’ensemble structurée de leurs travaux et permet de fixer les concepts et notions abordés pendant l’activité. Elle joue également un rôle motivationnel en valorisant les participants dont les contenus sont cités et mis en avant. C’est aussi une façon de montrer que l’équipe pédagogique est attentive aux travaux produits, malgré la masse des participants… Voici quelques exemples :
- Mooc Picasso : synthèse d’une activité de partage de ressources,
- Mooc Picasso : synthèse d’un débat,
- Mooc Versailles : synthèse des activités de la séquence À table et en cuisines
2) La diffusion sur les réseaux sociaux
Il s’agit de repérer quelques contenus remarquables et de les donner à voir à l’extérieur de la plateforme via les réseaux sociaux (ou les réseaux d’entreprises pour des COOCs). Rien de bien sorcier à ce niveau là, c’est une façon simple de prolonger la communication autour du MOOC et d’attirer de nouveaux participants en cours de route. Voici quelques uns des tweets produits lors des MOOCs Versailles et Picasso :
#MoocPicasso au coin du feu : les mooceurs partagent leurs hivers préférés, échos à la période bleue de Picasso… pic.twitter.com/co5J9J0mqt
— MOOC Culture (@MoocCulture) 18 Décembre 2015
Les mooceurs #MoocPicasso débordent d’imagination pour justifier leur passion pour Picasso ! https://t.co/basnAERFXf pic.twitter.com/T6vrqlFVnA — MOOC Culture (@MoocCulture) 22 Décembre 2015
#MoocLouisXIV, l’ambiance de Noël s’est définitivement installée avec de belles recettes et tables à la française ! pic.twitter.com/AAH8WmnpBO
— MOOC Culture (@MoocCulture) 22 Décembre 2015
3) La création de nouveaux objets numériques
Comment donner à voir et/ou à ressentir l’intelligence et la beauté de centaines de contributions distribuées sur des dizaines de pages de forum ? Cette question nous a conduits à expérimenter lors du MOOC Picasso différentes formes de visualisation numériques :
- un récit multimédia en deux parties, pour mettre en forme le texte collectif Je me souviens de Guernica rédigé par les mooqueurs : Partie 1 – Partie 2 (à comparer avec l’original sur Framapad),
- une carte mentale pour présenter toutes les contributions à l’activité « De quoi le bleu est-il la couleur ? » (voir en grand),
- Un tableau Pinterest de toutes les créations postées dans l’activité « Quand le masque révèle »,
- Un e-book compilant élégamment les saynètes rédigées pour l’activité « Chérie, je peux tout expliquer »,
- Un Tumblr reprenant sur une même page les œuvres d’art géolocalisées par les participants dans le cadre de l’activité « L’art et la guerre, un tour du monde »,
- Des diaporamas Prezi reprenant les coups de cœur partagés par les participants dans l’activité bilan « Suivez le guide ! » (Exemple 1 – Exemple 2).
La nature même du MOOC Picasso nous a poussés à associer intelligibilité et dimension esthétique. Nous voulions à la fois enrichir l’expérience des participants en magnifiant leur travail et conserver des traces visibles de ce qui se passe à l’intérieur d’un MOOC lorsqu’on donne aux participants la possibilité d’interagir.
Une fois produits, ces objets servent de carte de visite du MOOC et participent à la communication globale des institutions qui les portent. Dans un contexte d’entreprise, il est tout à fait envisageable d’orienter ce travail vers la gestion de connaissances (knowledge management), le MOOC s’inscrivant alors dans un dispositif plus global d’émergence et de capitalisation des savoirs.
Pédagogie, communication interne ou externe, recueil et formalisation des connaissances ; les possibilités sont suffisamment nombreuses pour que vous ne laissiez plus personne dire qu’un MOOC « c’est rien que des vidéos et des quiz » !
Photo : Jean-François Gornet – Chercheur d’or