Formation en ligne : la fécondité de l’invisible

Dans quasiment tous les domaines, la confusion volontaire entre qualité et visibilité, réussite et conformité aux normes est de mise. On s’attache aux traces, aux étiquettes, et peu importe le contenu, l’invisible.

Le domaine de la formation est lui aussi touché par ce mélange. L’école d’abord, dont la « performance » s’évalue hélas principalement selon le taux de réussite aux différents examens. La formation professionnelle également, dont l’efficacité est directement corrélée au taux d’embauche 6 mois après la sortie des stagiaires. Comme si la formation avait le pouvoir de créer des emplois… La formation en ligne, diplômante ou pas, interne ou externe, est bien entendu soumise aux mêmes types d’indicateurs : combien d’inscrits ? Quel taux de succès aux quiz ? Combien de mentions sur les réseaux sociaux ? Elle l’est d’autant plus qu’elle laisse des traces nombreuses, celles qui sont déposées par les participants dans les dispositifs informatisés. Et l’on feint de croire que seules ces traces témoignent non seulement de l’activité, mais aussi de l’apprentissage.

C’est comme si tout ce qui ne se comptait pas n’existait pas.

Produire des traces ou apprendre ?

La formation en ligne a largement profité de la vogue des MOOC : aux yeux d’un public large, elle a acquis la légitimité qui autrefois lui faisait défaut – elle a longtemps été considérée comme une version dégradée de l’enseignement en présence. Mais elle a également souffert de ce momentum. Selon un scénario déjà vu ailleurs, les « produits » numériques de formation se sont normalisés et les questions délicates autour des mécanismes d’apprentissage ont été écartées. En témoigne par exemple la question de l’engagement. « Augmenter l’engagement » des participants à une formation en ligne, c’est les faire durer plus longtemps dans le parcours. Les encourager à produire plus de traces. Ce n’est certainement pas accroître qualitativement leur investissement dans l’apprentissage. Parce que cela, c’est difficile à mesurer, car ça ne laisse pas forcément de traces. Ou pas celles que l’on mesure.

J’ai vu récemment une publicité pour le nouveau système de freinage électronique d’une voiture. Le slogan disait, en substance, « Vous n’avez même plus besoin de penser à freiner, votre voiture s’occupe de tout ». Ce qui ne me semble pas très rassurant. Et si la voiture oubliait ? Si le système d’évaluation des obstacles tombait en panne ? S’il était sensible à l’eau, à la pollution, à mon énervement dans les bouchons ? Je n’ai pas envie de confier ma vie (ni même ma bagnole toute neuve qui m’a couté les yeux de la tête) à un système électronique de freinage… A la différence du train ou de l’avion, dans la voiture c’est moi qui suis au volant !

On s’occupe de tout, et surtout de vous faire croire que vous avez appris !

Dans de nombreux cours en ligne, des MOOCs et des SPOCs en particulier, le discours est le même : vous n’avez même plus besoin de vous préoccuper d’apprendre, on s’occupe de tout. En d’autres termes, vous aurez vos badges ou votre certificat, votre barre de progression sera toute verte, vous serez félicité par votre chef. Nous vous avons préparé des petites blagues pour les jours où vous vous ennuierez, nous vous harcèlerons de mails  en conservant néanmoins un ton convivial, tout est « fun » et « cool » chez nous !) si vous ne vous connectez pas à la plateforme. Les quiz seront faciles, vous aurez plusieurs essais. Nous savons comment il faut apprendre, alors laissez-vous faire.

Le problème, c’est que ce discours est faux. Personne ne sais comment on passe de « je ne sais pas » à « je sais » (faire, expliquer, adapter, etc.). Parce qu’il s’agit d’une combinaison d’opérations très complexes, qui ne se produisent pas toujours dans le même ordre, selon les individus et les moments. Alors, on préfère simplifier, réduire l’apprentissage à la mémorisation  (à court terme) d’éléments factuels, vérifiable au travers des quiz et autres exercices autocorrectifs. Et l’on fait croire aux participants qu’il n’y a que ça qui compte. On les dépossède de leur savoir-faire d’apprenants en leur imposant des dispositifs simplifiés. Les apports, généralement proposés sous forme de vidéos courtes, se réduisent de plus en plus souvent à de grosses banalités sur un sujet ou un autre : on prend tout ce qui traîne sur le web, on le met vaguement en forme et hop, on dit qu’on offre une formation. Heureusement que c’est gratuit, car personne ne paierait pour ça. Il ne faut surtout pas fatiguer l’apprenant (ni le concepteur, d’ailleurs), il risquerait de partir avant la fin !

La fécondité de l’invisible

Bien entendu, toutes les formations en ligne ne souffrent pas de ces défauts. Mais il est extrêmement difficile d’évaluer en amont, avant d’y être entré, la qualité d’un parcours de formation. Du moins, si l’on se réfère aux indicateurs habituels : nombre d’inscrits, nombre de badges, etc. (voir plus haut). Il faudrait pouvoir regarder autre chose, analyser des corpus complexes et non structurées plutôt que des chiffres, analyser le discours proposé dans les vidéos vs la production moyenne non-spécialisée sur le même sujet… Autant de voies que nous explorons chez MOOC et Cie, dont nous donnerons très prochainement des exemples.

Il convient surtout de faire confiance à l’invisible. Tout ce qui brille n’est pas d’or, dit l’adage. Et dans notre société de la transparence, c’est bien souvent dans l’espace invisible et le silencieux que se préparent les alternatives sociales les plus prometteuses. Si nous ne voyons pas quelque chose, cela ne l’empêche pas d’exister… Obsédés par les chiffres, nous avons certainement oublié (par ignorance ou démarche consciente d’imposture) de regarder là où se déroule vraiment l’apprentissage… et donc, l’accroissement de l’autonomie des individus.

Car il s’agit bien de cela, n’est-ce pas ?

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