Fatigue des étudiants : à quand une vraie formation en ligne ?

En février dernier, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal déclarait : « 40% des étudiants ne reviennent pas en présentiel car le mode d’enseignement à distance leur convient » (source : 20 Minutes). La formule peut étonner, car on lit par ailleurs de nombreux articles (par exemple ici et ) qui pointent le ras-le-bol des étudiants soumis à la formation en ligne depuis un an. Alors, qu’en est-il vraiment ?

Cours en distanciel : le constat d’un « désastre »

Selon une enquête menée par l’Observatoire des Usages numériques dans l’activité enseignante à des Formations (OUF)*, l’enseignement à distance tel qu’il a été mis en place est vécu comme une situation majoritairement pesante. En effet, la moitié des étudiants interrogés déclarent rencontrer des difficultés pour organiser leur travail, comprendre le contenu des cours et déplorent le manque d’interactions avec les autres étudiants et surtout les professeurs. De plus, pour 54% d’entre eux, le temps de travail personnel a considérablement augmenté. Une grande majorité déclare également ne pas participer aux 1travaux de groupe et ne pas pouvoir se retrouver en dehors des cours pour travailler. Enfin, on peut aussi souligner la crainte chez ces étudiants que leur diplôme perde de la valeur. Le cas des néo bacheliers est encore plus préoccupant. En effet, après avoir quitté le cocon familial et leurs habitudes de lycéens, ces derniers se sont retrouvés seuls et à devoir étudier sans aucune aide ni expérience. Un décrochage massif pour ces post-bac et très alarmant.

L’interaction, clé de l’apprentissage

Le principal problème des cours à distance est le manque d’interactions entre étudiants et professeurs d’une part, entre pairs d’autre part.  Les interactions sont essentielles aux apprentissages. C’est vrai pour les tout-petits : un bébé n’apprend pas à parler en regardant un écran mais seulement quand quelqu’un s’adresse à lui. C’est vrai aussi pour les personnes qui veulent apprendre une langue étrangère : là encore, vous n’apprenez pas une langue en regardant des films dans cette langue, tout au plus pouvez-vous familiariser votre oreille avec les sonorités de cette langue. C’est vrai enfin pour les étudiants en général : le format du séminaire dialogué tel qu’on le trouve surtout à partir du Master ou en formation pro étant bien plus efficace que celui du cours magistral.  

La visioconférence sans dialogue s’avère catastrophique. Le cours dialogué ou rythmé par des activités régulières s’avère bien plus efficace. Des enseignants ont mutualisé leurs trucs et astuces pour rendre leurs visioconférences plus dynamiques 

  • Utiliser un logiciel tel qu’OBS pour varier les plans à l’antenne
  • Favoriser l’échange entre professeurs et élèves grâce au chat, en créant des sondages, des quiz…
  • Réaliser des jeux « brise-glace » pour créer une ambiance conviviale
  • Privilégier le travail en petits groupes grâce à des plateformes telles que Discord (ou tout autre plateforme permettant de créer des salles privées)
  • Encourager les étudiants à bouger, se lever… régulièrement, en faisant des pauses
  • Proposer des jeux, escape game… pour permettre aux élèves de sortir de leur routine ennuyeuse

En bref, il existe de nombreux moyens afin de rendre un cours à distance intéressant et pédagogique. Il suffit juste d’un peu d’imagination et de diversité.

Exploiter la gamme de modalités pédagogiques offertes par la formation en ligne

Activités synchrones et asynchrones, seul.e ou en binôme, exercices autocorrectifs, lectures, écoutes, production écrite, orale… Tout d’un coup, on dirait que tout ça a été oublié, au profit de la seule visioconférence ! Pourtant, la formation en ligne est infiniment riche et variée, bien plus que la formation en présentiel. C’est le moment de puiser dans toute sa collection de modalités pédagogiques. Car il est trop, vraiment trop facile d’affirmer d’un ton péremptoire que « la formation à distance, ça ne marche pas ». C’est résumer cette modalité de formation au moins bon de ce qui a cours actuellement. Les Québécois, qui prennent la formation à distance au sérieux depuis fort longtemps, ont publié une tribune à ce propos :  

« Si, par école virtuelle, on fait essentiellement référence à un enseignant qui récite un contenu en visioconférence, voire une capsule préenregistrée, pour ensuite laisser les élèves se débrouiller seuls, le tout avec un souci d’économie d’échelle, il est peu surprenant qu’on parvienne à des résultats parfois mitigés, incluant un sentiment d’isolement, voire de déshumanisation ».

La simplicité fait le lit de l’inégalité

Alors pourquoi continuer à massacrer la formation en ligne ? Manque de temps, envie d’aller au plus simple ? Lors du premier confinement, les enseignants ont, certes, été pris au dépourvu mais depuis, ils ont eu le temps d’améliorer leurs techniques, comme beaucoup l’ont fait… Mais pas tous, loin de là. Les administrations ont également leur part de responsabilités, et la programmation de 7 ou 8 h de visioconférence dans la journée semble n’empêcher personne de dormir -sauf les étudiants, bien entendu. On dirait que personne ne veut investir de temps ou d’intelligence dans la formation en ligne, car bientôt « tout sera comme avant ». Vraiment ?  

Il est temps de changer les modalités de la formation à distance sous peine de mettre en péril l’éducation des jeunes voire de rentrer dans un système discriminant. Les inégalités se creusent inutile de le nier. Car comme il est « plus simple » d’embaucher un homme qu’une femme, une collaborateur/trice de 35 ans plutôt qu’un.e de 19 ou de 52 ans, un.e valide plutôt qu’une personne handicapée… Il est « plus simple » de faire comme si la formation en ligne n’était qu’une solution provisoire, un pis-aller sans avenir. Sauf que les mois passent, que les écarts entre étudiants se creusent, et surtout, qu’il est possible d’améliorer les dispositifs actuellement majoritaires. Redonnons la parole à nos collègues québécois :

« L’heure devrait être à une réflexion constructive et collective portant sur de nouvelles possibilités pour soutenir la réussite éducative de tous les élèves, plutôt qu’à la condamnation systématique d’une pratique abusivement généralisée qui ne rend pas compte de l’ensemble des usages possibles du numérique en éducation ».

A moins que la réussite de tous ne soit plus au programme ?

Et si elle le redevenait, dans le monde d’après ?

*enquête menée entre décembre 2020 et février 2021 par l’Observatoire des usages numériques dans l’activité enseignante à des formations : collectif fondé par Marie-Christine Félix, Sophie Gebeil et Perrine Martin (toutes trois maîtresses de conférence à l’université Aix-Marseille)


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